Les femmes sans-papiers sortent de l'ombre
Sur les pas des travailleurs sans papiers employés dans la restauration, le nettoyage industriel, le bâtiment, qui depuis le 15 avril ont entamé un mouvement de grève, les travailleuses sans papiers commencent, elles aussi, à sortir de l’ombre. Algériennes, marocaines, sénégalaises, maliennes, moldaves, philippines, elles aussi veulent être reconnues et régularisées.
Eparpillées et isolées, il leur est difficile de se mettre en grève. Mais, aidées notamment des associations Femmes Egalité et Droits Devant !!, elles s’organisent et multiplient leurs apparitions publiques. Jeudi 29 mai, une centaine d’entre elles ont cherché à occuper l’Agence nationale des services à la personne. Le 23 mai, elles étaient déjà une cinquantaine en fin d’après-midi à "oser" manifester devant l’Opéra-Bastille.
Arrivée en 2002 avec son ami, Vasilisa, moldave, 33 ans, l’attend ce "petit bout de papier" qui lui permettra de travailler au grand jour et de ne plus vivre au quotidien "la peur au ventre". Sauf au moment de la naissance de son enfant, depuis son arrivée, elle n’a jamais cessé de travailler. Pendant quatre ans, elle s’est occupée d’un vieux monsieur, habitant dans le 16e à Paris, qui "malheureusement" est décédé. "Je faisais ses courses, son ménage, j’allais le promener, jouais avec lui... Il me considérait comme sa fille", se souvient Vasilisa qui, aujourd’hui, prend de la même façon soin d’une "petite dame".
Comme Vasilisa, elles sont quatre-vingt-dix à avoir, avec l’aide de la CGT, déposé en avril une demande de régularisation. Si, sur les mille dossiers déposés par le syndicat, quelque deux cents travailleurs ont à ce jour été régularisés, aucune d’entre elles n’a encore décroché le "sésame". Six ont été convoquées à la préfecture, mais pour s’entendre dire que leur dossier était incomplet. Toutes ont pourtant une promesse d’embauche. "On leur demande des feuilles d’impôt, des fiches de paie. Or, si quelques-unes travaillent avec des faux papiers ou les papiers d’une autre, la grande majorité travaillent au noir", relève Ana Azaria, présidente de Femmes Egalité. Elles sont employées au noir, mais, à la différence des autres travailleurs sans papiers, elles entretiennent toutes une relation de confiance étroite avec leur employeur", insiste celle-ci.
Dans l’entourage du ministre de l’immigration, on reconnaît pourtant que "les besoins sont extrêmement importants", dans ce secteur des services à la personne. Brice Hortefeux devrait d’ailleurs annoncer prochainement la mise en place d’un programme spécifique dans le cadre du contrat d’accueil et d’intégration (CAI). Un projet qui viserait à former et à favoriser l’orientation des femmes, arrivant dans le cadre du regroupement familial, vers des prestataires de services en quête de personnel.
Depuis quelques années, le gouvernement, soucieux de professionnaliser ce secteur, cherche à développer l’offre de services passant par les associations et les entreprises. Cependant, la réalité est là : à 80 %, ces services relèvent toujours de l’emploi direct. "La nature même de ces emplois porte à une relation de particulier à particulier", relève Serge Bizouerne, président de Domplus, plate-forme d’intermédiation permettant à des particuliers de trouver le service qu’ils recherchent.
"Dans ces emplois de services à la personne, le niveau de confiance c’est tout ce qui fait la valeur du travail, insiste le sociologue Alain Mergier, directeur de l’Institut Wei. Il y a dans ces emplois une qualification subjective extrêmement forte qu’aucun diplôme ne permet de garantir et qui rend secondaire tout le reste", observe le sociologue, rappelant que dans toute prise de décision il y a toujours une part de calcul du risque.
Or, ici, l’employeur confie tout ce qu’il a de plus vulnérable et de plus précieux : son enfant, son parent âgé dépendant. A partir de là, "l’estime qu’il porte à son employé a plus d’importance que le statut de celui-ci, en tant que tel", souligne Serge Bizouerne.
Lorsqu’elle est entrée en relation avec "sa" famille, Nadia, Algérienne de 42 ans arrivée en France en 2003 avec un visa de tourisme, n’a pas caché à ses futurs employeurs qu’elle était en situation irrégulière. "J’ai été franche. Ils m’ont alors dit qu’ils me gardaient deux, trois mois, le temps de trouver une personne en situation régulière qu’ils puissent déclarer. Mais au bout d’un mois, raconte-t-elle, ils ont vu que leurs enfants avaient un très bon contact avec moi, et ils m’ont gardée."
Ses employeurs - lui est directeur financier, elle directrice des ressources humaines - ont ainsi fait fi de leurs principes légalistes. D’autant qu’ils avaient eu jusqu’alors toutes les peines du monde à trouver la "nounou" qui prenne soin de leurs enfants, accaparés qu’ils sont par leur travail. "Mes petits-enfants n’arrêtaient pas de changer de nounou. Ils étaient un peu nerveux. Nadia les a vraiment équilibrés. Très sérieuse, efficace, elle n’a que des qualités", assure Gisèle Servel, la grand-mère, qui "ne comprend pas que Nadia n’ait pas sa carte de travail. A l’école, beaucoup de mères la voudraient bien. Elle est très sollicitée", s’inquiète-t-elle presque.
Cela fait maintenant plus de quatre ans que Nadia travaille pour la même famille. L’aîné des enfants a aujourd’hui 13 ans et les deux cadets, des jumeaux, 8 ans. Elle commence ses journées à 13 heures, s’occupe de la maison, du repassage avant d’aller, à 16 h30, chercher les jumeaux à l’école et de les emmener au parc ou à leurs activités parascolaires. Puis, en rentrant, elle leur fait faire à tous leurs devoirs, les baigne, leur prépare à dîner afin qu’ils soient fin prêts à être couchés lorsque leur mère rentre vers 20 heures, 20 h 30.
Même si elle n’est pas déclarée, Nadia n’a "jamais été exploitée". Elle est payée au smic. "Mon seul problème, c’est de ne pas être en situation régulière, dit-elle. Tout ce qu’on veut, c’est être des femmes libres."
Nadia, elle, est arrivée seule en France. D’autres sont venues rejoindre leur mari hors de la procédure du regroupement familial. "Elles viennent avec un simple visa de tourisme, mais sans que leur mari fasse le nécessaire pour une installation durable. Or, souvent, elles ne savent pas que c’est un moyen pour eux de renforcer leur domination sur elles. Parce qu’elles n’ont pas de papiers, elles se retrouvent ainsi sous l’emprise de leur conjoint", observe Anne Jonquet, avocate à Bobigny. Pour ces femmes, la régularisation est un moyen de sortir de cette "double peine" qu’elles subissent. C’est un moyen de sortir de l’ombre, et, insiste Ana Azaria, "de faire valoir leurs droits, de s’affranchir à l’égard de leur mari".
Laetitia Van Eeckhout
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